L'obsession du lisible et les toponymies subalternes : sur quelques apories africaines du nationalisme toponymique
Michel BEN ARROUS, Université Gaston Berger, Saint-Louis, Sénégal, Senegal
Claude Raffestin dénonçait en son temps la « dictature de l’œil » parmi les intuitions-preuves de la géographie. Il s’inscrivait dans un courant critique qui renouvela nos approches du regard cartographique, particulièrement dans ses usages nationalistes. On admet de nos jours que ce regard ne donne pas uniquement à « voir le pouvoir », il peut aussi contribuer – ou échouer – à le faire advenir, à l’instituer. A l’inverse, ce qui échappe au regard cartographique, ou ce dont celui-ci se détourne, n’est pas nécessairement inexistant.
Par analogie, l’obsession du lisible recouvre la fascination de la toponymie critique pour les noms officiels – ceux qu’on lit sur les cartes, les plans de ville ou les plaques de rues, au détriment des toponymies informelles, vernaculaires ou populaires, militantes ou non, ici désignées ensemble comme subalternes. Prendre ces toponymies au sérieux, c’est interroger les présupposés d’un champ de recherches qui surévalue le « pouvoir de (re)nommer » et son hégémonie incomplète. Les villes africaines constituent à cet égard un site épistémique de premier choix, à partir duquel repenser, non seulement le « pouvoir », virtuel ou effectif, de la (néo)toponymie officielle, coloniale ou postcoloniale, mais aussi les « résistances » qu’il rencontre – au premier rang desquelles la souveraine indifférence des citadins qui continuent de nommer les lieux à leur manière.
Notre présentation s’appuie sur une sélection de photos tirées d’une expo sur le street signage (organisée en 2018 par Liora Bigon et moi). De Casablanca au Cap et de Dakar à Maputo, il s’agit d’apprécier les multiples systèmes de nommage et de repérage qui coexistent dans les villes africaines, souvent en différentes langues. Dans leurs tensions et interactions, se jouent des identités collectives, des formes de mise à distance et d’altérité, des mémoires et contre-mémoires qui s’inscrivent dans des durées hétérogènes, souvent fort éloignées des écritures nationalistes de l’histoire.
Mots clés : Toponymie|Villes africaines|Pratiques spatiales|Multi-toponymie|Cultures urbaines
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